e-patient

14 septembre 2022 | prévention Les oubliés du digital : Demain, tous e-patients ?

L'e-patient, informé et impliqué, permettra d'améliorer les processus de prise en charge et de soins, ainsi que l'efficience de notre système de santé

Chacun en conviendra, la santé est omniprésente dans nos vies quotidiennes. Avec plus d’1,3 million de personnes employées dans le secteur, elle occupe une place centrale dans le fonctionnement de nos sociétés. Nous la croisons partout : elle s'incarne, en ville, à travers les médecins généralistes, kinésithérapeutes, dentistes, pharmaciens, radiologues, infirmières, orthophonistes, médecins spécialistes, sages-femmes ou  laboratoires d’examens, mais aussi au travers de tous les établissements (hôpitaux, cliniques et maisons de santé) qui maillent le sol français et structurent l’économie de nombreux territoires.  On la retrouve aussi dans l’hospitalisation à domicile (HAD) et les prestataires de soins à domicile (PSAD) qui permettent de suivre les patients lorsqu’ils sont renvoyés chez eux, après un séjour à l’hôpital. Elle se matérialise enfin, en filigrane, par l’intermédiaire des dispositifs de prévention qui encadrent nos existences : médecine du travail, infirmières présentes dans les entreprises et professionnels de santé qui œuvrent dans les écoles et les administrations. 

Une brève définition du « e-patient »

Dans chacun de ces univers, nous avons tous vocation à devenir des e-patients et à aider les « effecteurs de santé » à remplir leurs missions. En renforçant notre éducation thérapeutique et en nous emparant des outils fournis par les plateformes d’e-santé, nous avons l’opportunité collective de transformer par le haut notre système de santé. 

Dans ce domaine, il convient d’emblée de dissiper certains fantasmes. L’« e-patient » n’est pas l’homme augmenté, bardé de capteurs ou de puces sous-cutanées dont rêvent les transhumanistes et les champions du « dataïsme », cette idéologie qui voudrait que l’existence individuelle de chacun fût essentiellement régie par  la gouvernance des données, quitte à abdiquer notre libre-arbitre. La technologie ne résoudra jamais tous les problèmes ; elle n’est qu’un instrument au service du mieux-être et de l’intelligence humaine.

A ce titre, l’ « e-patient » correspond plutôt à la définition qu’en donnait le docteur Thomas Ferguson dans les années 1980 : il s’agit d’un individu « engaged (impliqué dans sa prise en charge), equipped (éduqué/informé sur sa maladie), enabled (se donne les moyens d'agir) et empowered (investi d'un certain pouvoir, celui de décider) ». Et dorénavant, c’est même une personne émancipée qui peut prendre certaines initiatives, sans que le recours à un professionnel de santé soit toujours indispensable. 

L’ « e-patient », accélérateur de la médecine préventive

La prévention est l’univers-clé où le patient doit être « acteur de son parcours de santé ». Pour rappel, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) distingue trois niveaux de prévention : la prévention primaire qui vise à réduire la probabilité qu’une pathologie survienne et que de nouveaux cas apparaissent dans la population ; la prévention secondaire qui consiste à freiner l’évolution des maladies et à faire disparaître les facteurs de risque chez les individus ; la prévention tertiaire qui a pour objectif d’éviter les problèmes de rechute et les complications. A chacun de ces stades, l’e-patient a son rôle à jouer pour favoriser le passage d’une médecine curative à une médecine préventive.

Au niveau primaire, il est d’abord question d’expliquer, d’informer le patient et de l’inciter à mener des actions de prévention, comme la vaccination. En lieu et place du traditionnel carnet médical, on peut très bien imaginer la promotion d’applications numériques qui effectueraient les rappels et simplifieraient les démarches du patient, qu’ils les accomplissent pour lui-même ou pour un tiers (ses enfants par exemple). 

Le deuxième enjeu est de fournir des informations certifiées par des professionnels pour augmenter le niveau de connaissances des patients ; on peut toujours critiquer Doctissimo, mais force est de reconnaître que les articles sont écrits par des médecins, ce qui représente un gage de sérieux. Mieux vaut offrir aux patients des contenus de qualité, supervisés par des praticiens, plutôt que de les laisser surfer sur Google et s’exposer à des sources peu crédibles. Certes, « toutes les informations sur Internet ne sont pas fiables, mais pour reprendre une analogie médicale, la balance bénéfice/risque de la santé 2.0 penche franchement en faveur des nouvelles technologies. Pour le médecin, il est plus facile de dialoguer avec un patient informé, de l'impliquer dans le traitement. Un patient mieux informé est un patient mieux soigné » et qui est en mesure de s’autonomiser

Troisièmement, il est essentiel d’inciter au dépistage avec des questionnaires simples où l’accent est mis sur les facteurs de risques et les terrains favorables au développement d’une pathologie. A l’avenir, les entreprises ou les mutuelles pourraient notamment proposer davantage de services pour mieux détecter les maladies : elles offriraient des outils, validés scientifiquement, pour que le patient s‘auto-évalue. En cas de doute, celui-ci pourrait ensuite se rediriger vers son médecin traitant ou, mieux, vers des centres d’expertise pour effectuer un dépistage. Le fléchage du parcours de soins serait ainsi amélioré.

Au niveau secondaire, l’accompagnement des malades chroniques dans leur vie quotidienne mériterait d’être systématisé pour les inviter à prendre soin d’eux-mêmes depuis leur domicile. Les assistants digitaux qui coachent les personnes diabétiques en leur envoyant des notifications pour mesurer leur taux de glycémie ou en leur prodiguant des conseils nutritionnels offrent déjà de bons résultats. Le succès de ces dispositifs témoigne qu’un nombre croissant de patients sont prêts à sauter le pas et à assumer une part de responsabilité dans le suivi relève également de problématiques de leur pathologie. Il démontre aussi que l’augmentation du nombre de soignants n’est pas la seule solution pour faire face à l’explosion des besoins médicaux. L’éducation thérapeutique des patients est également un remède à ces difficultés.   

Au niveau tertiaire, la philosophie est sensiblement la même. En interrogeant l’e-patient entre deux consultations chroniques pour savoir s’il décompense ou s’il développe une comorbidité, on peut identifier des signes avant-coureurs de dégradation et réduire les pertes de chances. En outre, pour tous ceux qui souffrent de longue date, ces nouvelles technologies constituent un gage de réassurance permettant d’être guidés sur la durée et de bénéficier d’outils numériques de surveillance qui sécurisent l’existence. Loin de déshumaniser la médecine, le digital peut tranquilliser les patients et leurs proches tout en améliorant le confort de vie.  

L’ « e-patient », allié de la médecine de ville et de l’hôpital

Dans cette perspective, un constat plus général s’impose : en dotant les e-patients d’instruments pour évaluer leur santé ou la gravité de leurs symptômes, nous ferons drastiquement baisser une série de craintes qui contribuent à la désorganisation de la prise en charge, au surbooking des médecins généralistes et à l’engorgement des urgences. Quand des parents sont confrontés, en pleine nuit, aux cris de douleur de leur enfant, ou qu’un patient est victime depuis plusieurs jours de forts maux de tête qui culminent au moment du week-end, il n’est pas toujours aisé de prendre la bonne décision. Le passage par la « case urgences » est souvent un réflexe. Face à ces problèmes aigus, un système de questionnaires digitaux, validés par des professionnels du secteur, serait d’une précieuse utilité : le personnel soignant ou le patient lui-même obtiendraient une première évaluation, sauraient s’il faut aller aux urgences ou se rendre dans un centre de soins ouvert la nuit et pourraient choisir l’établissement de santé le plus adapté en fonction de son plateau technique. Les gains seraient immenses pour tout le monde. 

De la sorte, nous pourrions aussi prioriser les rendez-vous en médecine de ville. Aujourd’hui, sur DoctoLib, il n’existe pas vraiment de hiérarchie entre les patients selon leurs symptômes. Pour caricaturer, des douleurs gastriques ou un risque d’AVC sont traités de la même manière. Grâce à la généralisation des dispositifs numériques, le patient pourrait donner les informations pertinentes pour mieux réguler son cas, en fonction de critères médicaux. Avec un autre avantage, l’optimisation des rendez-vous : si l’on suspecte des symptômes contagieux, il est irrationnel d’envoyer la personne dans une salle d’attente contaminer les autres patients. Une téléconsultation s’avère plus indiquée. 

L’avènement d’un e-patient sera également propice à l’essor du télé-suivi, un domaine où les marges de progrès demeurent importantes. Quand un médecin suit une file active de patients pour tel type de maladie, il est possible de « protocoliser » cette démarche grâce au digital. On fait en quelque sorte « travailler » le patient en l’invitant à aller au laboratoire et à charger ses résultats d’analyse sur le logiciel du praticien. Dès lors, l’outil numérique peut analyser les données et émettre des recommandations. A l’instar du radiologue,  le médecin validerait ces dernières (e.g. renouveler la prescription…) ou proposerait une consultation au patient. 

De même, si ce dernier ne ressent pas le besoin d’un rendez-vous car ses résultats sont rassurants, cela libère du temps médical pour gérer ceux qui ont des signaux anormaux ou des cas complexes. L’ e-patient peut aider à optimiser ce process qui aura d’autant plus d’intérêt dans les déserts médicaux. En automatisant la file active, on évitera des déplacements inutiles à des patients pour des renouvellements d’ordonnances et on libérera des créneaux pour des situations prioritaires. Chacun sera gagnant.

A l’hôpital, les e-patients représenteront un atout majeur. Ils transformeront les nombreuses périodes d’attente en facteur d’accélération de la prise en charge et du diagnostic médical. Si l’e-patient effectue lui-même son anamnèse, on évite que les praticiens et les infirmières gaspillent du temps médical à poser des questions élémentaires. Le médecin peut se recentrer sur son cœur de métier tout en restant aux manettes. Quand l’e-patient renseigne lui-même les informations, le praticien n’a plus à jouer les détectives : il campe dans son rôle d’expert. 

Ce qui est valable lors du passage à l’hôpital l’est également lors du retour en ville. Si l’e-patient continue de fournir des informations sur son état de santé et l’évolution de ses symptômes, on ajuste le suivi au plus près de la situation. Pour reprendre des termes chers aux mathématiciens, on passe d’une vision discrète à une vision continue des choses, ce qui concourt à plus d’efficience et de sécurité.

Quand un patient chronique est accompagné tout au long de sa prise en charge, via des questionnaires digitaux et des dispositifs de mesure des constantes, on peut d’ailleurs assumer une part de risque. En cas de rechute ou de décompensation dans les semaines qui suivent, le corps médical est immédiatement informé, capable de gérer le cas en conséquence.  Et s’il y a des signes suspects, la prise de rendez-vous est accélérée. 

Alors demain : tous e-patients ?

En conclusion, nous avons tous vocation à nous muer en e-patients. 80% de la population française est sans doute mature pour basculer vers ce nouveau système. Certes, les prises de décision n’appartiendront plus totalement aux médecins. Ces derniers perdront sans doute en pouvoir, avec des patients qui n’hésiteront plus à les challenger et des outils numériques qui prendront une place croissante. Toutefois, si les praticiens consentent à ces mutations, les contreparties seront immenses : des processus de prise en charge et des parcours de soins mieux orchestrés ; des temps d’attente des patients transformés en temps médical ; des gains en matière de dépistage, de prévention et de détection des épidémies. Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? 

Jerome BOURREAU

Ecrit par: Jerome BOURREAU

Ingénieur CentraleSupelec & MBA INSEAD, Jérôme travaille depuis 20 ans dans la transformation digital de différents secteurs, Dans le transport avec la création de oui.sncf , le Tourisme chez ThomasCook, le Commerce chez Pixmania, et le paiement chez Ingenico. Jérôme a co-fondé Anamnese en 2017 avec Raphael Canyasse afin d'aider à la transformation digitale du secteur de la santé.